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30/05/2011

Les révélations du Billet doux

Présentation de Jean-Honoré Fragonard
Avec Boucher et Chardin, qui furent ses maîtres, JHF (1732-1806) est l’un des artistes les plus représentatifs de la peinture française du XVIIIe siècle.
Son nom est le plus souvent associé à la peinture galante et libertine, du fait de la célébrité de toiles telles que Le Verrou que vous connaissez bien (servant d’illustration à nombre d’éditions des Liaisons dangereuses), Les Hasards heureux de l’escarpolette, L’instant désiré ou encore La Gimblette.
Son oeuvre abondante est cependant plus diversifiée : peinture d’histoire durant sa jeunesse, paysages influencés par les peintres hollandais et par ses deux voyages en Italie où il se lie avec Hubert Robert, le peintre des ruines, tableaux religieux, décorations murales, portraits...

Quelle que soit cette variété, c’est surtout l’élégante gaieté avec laquelle Fragonard peint la séduction et la volupté qui a fait sa réputation au XVIIIe comme a posteriori.

    
Le Verrou

Le Baiser à la dérobée

Les Hasards heureux de l’escarpolette

L’Instant désiré

Jeune fille faisant danser son chien sur son lit dit à tort La Gimblette

Le tableau
Le Billet doux est aussi connu sous le titre La Lettre d’amour. Il s’agit d’une huile peinte sur toile, de dimension moyenne (83 x 67 cm), datant approximativement de 1778.
La jeune fille qui y est représentée serait la fille du peintre Boucher, Marie-Emilie, et on reconnaîtrait le nom de son fiancé sur le billet joint au bouquet de fleurs.
Le tableau se trouve au Metropolitan Museum of Art, à New-York.






La lettre : un motif pictural traditionnel
A l’instar du livre, la lettre est un motif privilégié dans la peinture depuis le XVIIe siècle en relation avec le développement de la communication épistolaire et l’apparition des premiers services postaux. Aux Pays-Bas, pays prospère où les habitants sont mieux alphabétisés que dans les autres pays européens, les peintres exploitent souvent la représentation de la lettre dans leurs scènes d’intérieur (voir La Lettre d’amour, Vermeer, vers 1669).
Pour Vermeer comme pour Chardin ou Fragonard, la représentation de la lettre est un moyen de théâtraliser la peinture et de piquer la curiosité du spectateur en jouant à la fois sur le secret et le dévoilement : la lettre mêle en effet le mystère et la banalité, l’intime et le public.


Composition du tableau : jeux de lumière et de symétrie
- comme dans les scène de genre hollandaises, la lumière vient de la fenêtre ronde à gauche, éclaire le visage, la nuque et la main de la jeune fille, ainsi que le petit chien blanc.
- d’autres taches lumineuses sont apportées par la blancheur de l’animal, celle du papier qui entoure le bouquet, du “billet doux” - ou par les reflets satinés de la robe
- les couleurs froides (le vert du sous-main et du siège, le bleuté de la robe) contrastent avec les couleurs chaudes des tentures et des pieds du mobilier.
Des effets de symétrie ou de correspondance s’établissent entre divers éléments :
- les fleurs roses et blanches s’harmonisent délicatement aux teintes du visage et de la coiffe du personnage
- la dentelle qui orne la manchette de la robe rappelle l’oreille bouclée du petit chien blanc
- les plis de la robe, sous la table, se confondent avec ceux du rideau.


En quoi est-ce une peinture galante ?

Plis des étoffes et tensions du corps
Comme dans la plupart de ses tableaux galants, Fragonard a particulièrement soigné le plissé et les reflets des étoffes qui donnent au tableau un mouvement sensuel comparable à celui du corps féminin. “Ce n’est rien d’autre que de la peinture, du drapé, et l’on sait bien que le drapé est le comble de la peinture” écrit Daniel Arasse à propos du drapé en désordre dans Le Verrou.

La robe bleue en satin, aux moirures chatoyantes, ressemble à celle du Baiser dérobé. Les tentures ocres, au premier et à l’arrière-plan, ainsi que le rideau blanc à la fenêtre, encadrent le personnage comme dans un écrin et contribuent à créer une atmosphère d’intimité.

Penchée vers la table, la jeune fille semble à peine assise sur le bord de son siège, donnant ainsi l’image d’un corps en suspens : va-t-elle se lever ou s’asseoir, veut-elle ainsi cacher le billet glissé dans le bouquet ? Sa posture, équivoque, contraste avec l’attitude du petit chien blanc qui batifole avec sa maîtresse dans La Gimblette ou qui piaffe d’excitation dans L’Escarpolette, l’animal est ici chargé d’une connotation érotique. On peut également se poser la question de la représentation symbolique de la fidélité à travers sa présence.


La saisie d’un instant équivoque
En peignant les plaisirs de la séduction, Fragonard cherche aussi à saisir des scènes furtives, des instants de trouble ou d’hésitation, des attentes. Apparemment anodin, Le Billet doux ne manque pas d’ambiguïtés qui en appellent à la curiosité complice du spectateur : la lettre est-elle glissée ou retirée du bouquet ? La demoiselle est-elle la destinataire ou l’expéditrice de ces gages d’amour ? Ou encore, une “espionne” qui “intercepte” ce qui ne lui est pas destiné ? Cherche-t-elle à masquer ou à montrer son geste ? Vers qui tourne-t-elle son regard et son sourire malicieux, redoublé par les yeux fixes du chien ?


Le spectateur voyeur
Ce sont autant le peintre que le spectateur du tableau qui se trouvent ainsi lorgnés par la rousse mutine et son animal. Le jeu des regards souligne la mise en scène iironique et nous transforme en voyeurs d’un geste surpris à la dérobée. Le sourire ambigu de la jeune fille, contrastant avec le regard plus malveillant du chien, renforce la dimension galante du tableau.

Laclos, Les Liaisons dangereuses et le type romanesque du libertin

1 commentaire:

  1. Je ne regrette pas d'avoir perdu 10 minutes à lire quelques uns de vos articles. Ce dernier est particulièrement bon. C'est super de partager cela. Merci à vous de partager vos idées et votre vision avec les autres, il semble qu'on ait pas mal d'atomes crochus :-) et j'aime ça. Je reviendrai. Au plaisir de vous lire. decoration murale

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