5 parties dans cette fable :
– le tableau terrifiant de la Peste
– le discours du lion
– le discours du renard et des autres animaux
– le discours de l'âne et ses conséquences
– la morale
Remarque : la plus grande partie de la fable est donc organisée autour de discours directs
=> importance de la parole, réflexion sur ce que l'on peut dire ou pas.
Remarquer également la gradation dans les locuteurs : du plus au moins important
1) Tableau de la Peste (v.1 à 14):
La 1ère phrase couvre 6 vers : dramatisation de la Peste : le mot n'est « lâché » qu'au vers 4, après une anaphore du « mal ». "un" : article indéfini - forme inquiétante puis sans déterminant : toute-puissance
La Peste = le Mal par excellence dans la littérature, depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui (voir dans Oedipe Roi de Sophocle, ou dans La Peste de Camus).
Noter la majuscule = personnification de la Peste (voir aussi « faisait aux animaux la guerre »)
« Puisqu'il faut l'appeler par son nom » : dramatisation encore
Champ lexical de la tragédie : « terreur », « fureur », « crimes », « Achéron », « guerre ».
Allitération en [r] + mot placé en fin de vers : augmente la terreurCette Peste est une punition des dieux : « le Ciel » « punir les crimes », exactement comme dans la mythologie (noter aussi le nom « Achéron », rivière que les morts devaient traverser pour accéder aux Enfers, dans la mythologie grecque).
« Capable d'enrichir en un jour l'Achéron » : la Peste fait tellement de morts que ceux-ci, qui devaient payer pour pouvoir traverser la rivière, l'ont enrichie rapidement.
Conséquences de la Peste :
- Insistance sur la mort : « Achéron », « mouraient », « mourante vie »
- Mais également sur les divers aspects de la vie :
• beaucoup de négations du v. 7 au v. 14 (ne … pas / ne … point / nul … n' / ni … ni … ne / plus d'... plus de …) = perte de vie
• insistance sur le fait que ça touche tout le monde, même ceux qui ne meurent pas : anaphore de « tous » au v. 7 et chiasme "mouraient... tous / tous...étaients frappés" = espoir du 1er hémistiche contré par le second ; oxymore "mourante vie" = absence de raison de vivre, énumération des animaux ( loup, renard, tourterelles)
• absence de plaisirs de la vie : la gourmandise (« nul mets n'excitait leur envie »), la chasse (« n'épiait … proie »), l'amour (« plus d'amour »), la joie (« plus de joie »)
• La Peste finit par dénaturer les animaux : les symboles sont brisés : la tourterelle n'est plus l'amour ; le loup et le renard ne sont plus des prédateurs.
- Peste toute-puissante et dévastatrice.
2) le discours du lion (v. 15 à 33)
Le lion chez LF = le roi, le souverain (attention, pas nécessairement Louis XIV !)
« tient conseil » : on est bien dans le conseil du Roi, donc composé d'écclésisatiques, de nobles, de bougeois, de légistes.
On aurait donc tort de considérer l'âne comme un paysan ou un membre du petit peuple.
Le Roi se place au même niveau hiérarchique que les membres du conseil, semble modeste :
– apostrophe « mes chers amis », apparente bienveillance : registre affectueux (et hypocrite ? Les membres du conseil sont-ils tous les amis du roi ?!) ; se met au même niveau que les autres.
– Modalisateurs : « je crois que », « peut-être », « l'histoire nous apprend que » : ici encore, se place en position d'infériorité par rapport au Ciel, donc au même niveau que les autres
– « nos péchés » / « de nous » / « commune » : le lion s'inclut encore dans le groupe des animaux.
Invocation de causes fatales à relier au registre tragique : « Ciel », « péchés », « coupable », « se sacrifie », « courroux »
Puis il donne l'exemple (« pour moi ») en avouant sa faute (« j'ai dévoré force moutons ») « sans indulgence » comme il le demandait précédemment (v. 23).
= roi très honnête, trop honnête ? il accentue sa faute en évoquant sa gourmandise « appétit glouton », et le fait qu'il n'était pas en légitime défense : « nulle offense ».
La chute a un effet comique : « Le berger » par sa brièveté (vers de 3 syllables !) + la gourmandise ultime, comme la cerise sur le gâteau !
Le Lion apparaît comme un noble personnage, vaillant , endossant ses responsabilités : « je me dévouerai donc, s'il le faut »
Mais ce courage est immédiatement atténué par le connecteur « mais », qui implique qu'il y aura des animaux plus coupables que lui : « que le plus coupable périsse ».
La décision relève de la « justice » v. 32, mais il n'est pas dit de quelle justice : quels sont les critères que le lion retiendra pour trouver le « plus coupable » ?
=> justice inique, puisque la loi n'est pas clairement définie.
Art rhétorique du lion très maîtrisé :
– figures de style : hyperbole (« appétits gloutons »),
– dialogue à l'intérieur du discours (« que m'avaient-ils fait ? Nulle offense »)
– discours structuré : exposé des faits / « donc » conclusion / « mais » nuance/ « car » argument supplémentaire.
=> le Lion se présente comme un personnage honnête, qui montre l'exemple ; en réalité, il ne craint rien, puisqu'il est le roi et que c'est lui qui décidera du « plus coupable ». Manipulation des membres du conseil. Ceux-ci vont-ils être dupes ?
|
Extrait de La Fontaine aux fables, T3, collectif, 2006 |
3) Le discours du renard et des autres animaux (v. 34 à 48)
Il ne s'agit absolument pas d'un aveu, mais d'un plaidoyer en faveur du roi :
Le renard commence par flatter le roi :
* lexical des qualités : « trop bon », « vos scrupules », « trop de délicatesse », « beaucoup *d'honneur » = la bonté et la douceur
toujours précédées d'adverbes de quantité (trop, beaucoup)
Il utilise des arguments disculpant totalement le roi :
*être mangé par le roi est un honneur que les victimes ne méritent pas
*avoir mangé le berger est un bienfait pour les animaux (puisque celui-ci prenait le pouvoir sur eux, de manière illégitime)
Il manie, lui aussi, parfaitement l'art rhétorique :
* Apostrophes pleines de déférence (= de respect) : « Sire, « Seigneur »
*Multiples types de phrase : ! ? ; .
*Phrases très rythmées : deux alexandrins à la suite (v. 36 et 37), au rythme irrégulier
*Figures d'insistance : répétition (« trop … trop ... », « non, non ») ; énumération (gradation ?) : « mouton, canaille, sotte espèce » ; hyperboles (« trop bon », « digne de tous les maux »)
=> le renard flatte donc doublement le roi, d'un part avec le vocabulaire, d'autre part en faisant passer pour vertus les fautes du roi.
… cela lui permet de passer sous silence ses propres fautes ! Rusé, le renard !
Le narrateur passe très rapidement sur les aveux des animaux : en 5 vers, il les évoque, sans expliquer en quoi consistent les fautes : elles n'ont pas d'importance en réalité ; qu'elles soient importantes ou pas, puisque ce sont des « puissances » qui avouent, elles ne pèsent pas.
Remarquer les animaux choisis pour illustrer ces « puissants » : « tigre » et « ours », deux animaux dangereux, « mâtin » = gros chien de garde.
Ton ironique :
au vers 46 : « les moins pardonnables » = euphémisme (les offenses, en réalité, sont toutes impardonnables, vus les animaux !)
au vers 48 : « au dire de chacun, étaient de petits saints » : discrète intervention du narrateur qui sous-entend l'inverse de ce qui est dit (antiphrase)= insiste sur la pratique de la « langue de bois » dans l'entourage du roi : dissimulation d'une réalité gênante pour tous (il serait inconvenant de se rendre compte que tous les membres du conseils du roi sont coupables de forfaits !)
4) Le discours de l'âne
Un discours honnête (voir le rythme fluide, sans cassure) qui obéit à l'injonction du roi « soyons sans indulgence » au v. 23 ».
Il reprend exactement les éléments du discours du roi :
*la faute = « je tondis de ce pré la largeur de ma langue » (le roi : « j'ai dévoré force moutons » + le berger)
*la raison : « la faim » (le roi : « satisfaisant mes appétits gloutons »)
*circonstance agravante : « je n'en avais nul droit » (le roi : « que m'avaient-ils fait ? Nulle offense »)
Pourtant, la faute est un peu atténuée (l'âne a confiance : il sait que sa faute n'est rien comparée à celles déjà rapportées) :
« j'ai souvenance », « un pré », « je pense », « quelque »
En même temps, l'âne est précis :
« la largeur de ma langue », « nul droit », « parler net ».
=> faute ridicule par rapport à celle du roi, et circonstance très atténuante : l'âne a agi par faim (le roi, par gourmandise).
Réaction du conseil :
« à ces mots » : la réaction est immédiate, « on » est trop content de trouver une victime !
« on » cria … = « on » généralisant (tout le conseil est d'accord pour accuser l'âne)
Ironie : le loup représente celui qui a de vagues connaissances en droit « quelque peu clerc », mais déjà doué en rhétorique : « sa harangue ».
Ses arguments : un argument ad hominem (« maudit », « pelé », « galeux ») => c'est donc la personne même de l'âne qui est fautive, pas la faute elle-même !
Antithèse mettant en opposition le jugement du narrateur (« sa pécadille ») et celui du conseil (« crime abominable »).
Ironie lorsque le narrateur rapporte les pensées du conseil (par le biais du loup) au style indirect libre : fausse indignation du conseil ; le narrateur n'est pas dupe, le lecteur non plus (connivence).
|
Illustration - Gustave Doré |
5) La morale
« vous » répété 2 fois : le narrateur s'adresse au lecteur
« serez » + « rendront » , futur de vérité générale (comme le présent de vérité générale)
Blanc / noir : symbolisme des couleurs (blanc = déclaré innocent ; noir = déclaré coupable) - aspect manichéen
« les jugements de cour » : La Fontaine prend soin de préciser qu'il ne s'agit pas des jugements en général, mais bien de ceux de la cour
=> il ne s'agit pas d'une satire de la justice, mais d'une mise en garde sur le fonctionnement de la Cour : ce ne sont pas les règles « normales » qui s'appliquent, mais de nouvelles règles, qu'il vaut mieux connaître.
= sur l'amoralité à la Cour (= le fait qu'il n'y ait pas de morale, seulement une échelle de valeur calquée sur la valeur sociale des animaux)
source : weblettres